Scène V.

[148] Gaveston, Georges, Marguerite.


MARGUERITE. Entrez, entrez, Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir fait attendre.[148]

GEORGES. Il n'y a pas de mal, ma brave femme, j'étais occupe à admirer cet antique édifice. Le beau château! les belles voûtes! jusqu'à ces ruines que j'ai traversées pour arriver jusqu'ici, c'est admirable! Apercevant Gaveston. Pardon, Monsieur, de ne pas vous avoir salué d'abord; c'est à vous sans doute que je dois l'hospitalité?

GAVESTON. Oui, Monsieur. A part. J'y pense maintenant! si c'était quelque acquéreur, quelque riche capitaliste qui vînt pour surenchérir? Haut. Qui ai-je l'honneur de recevoir?

GEORGES. Un officier de Sa Majesté, un sous-lieutenant au quinzième d'infanterie.

GAVESTON, à part. Un sous-lieutenant, je suis tranquille. Haut. Monsieur, à ce qu'il paraît, n'est pas Ecossais?

GEORGES. Non, vraiment, je ne suis jamais venu en ce pays, et je ne puis vous dire l'effet qu'a produit sur moi cet ancien édifice.

GAVESTON. Et comment vous êtes-vous trouvé à une pareille heure à la porte de ce vieux château?

GEORGES. Comment? je n'en sais trop rien: mais j'ai idée que c'est pour vous rendre service.

GAVESTON. A moi!

GEORGES. A vous-même. Un autre vous dirait que c'est la nuit et le mauvais temps, mais ce n'est pas vrai; et moi, comme militaire, je dis toujours la vérité.

GAVESTON. Toujours?

GEORGES. Oui, Monsieur; même en amour, je suis d'une franchise!.. Ce n'est pas qu'au régiment ils ne prétendent que ça me fera du tort, et que ça nuira à mon avancement; mais ça me regarde. Revenons à vous: je n'entends parler dans le pays que des sortilèges, des apparitions de la dame blanche, et je veux[149] passer la nuit dans ce château pour me trouver en tête-à-tête avec elle.

GAVESTON. Si ce n'est que cela vous ne risques rien: elle n'a garde de se montrer.

GEORGES. Vous croyez? c'est ce qui vous trompe, car elle m'a donné rendez-vous.

GAVESTON, riant. Un rendez-vous? À part. Allons, allons c'est quelque original dont les idées ne sont pas bien nettes. Haut. Adieu; mon officier; minuit a sonné depuis longtemps, et je suis obligé de vous quitter, attendu que demain nous serons réveillés avant le point du jour.

GEORGES. Et pourquoi?

GAVESTON. Pour tout disposer; car de grand matin nous aurons beaucoup de monde au château, des affaires importantes ... On va vous dresser un lit dans cet appartement.

GEORGES. A moi! y pensez-vous! ce fauteuil me suffit, je serai mieux là qu'au bivouac. D'ailleurs, les revenants que j'attends pourraient bien être des contrebandiers ou des montagnards de la bande de Rob-Roy, et je veux être sur pied pour les recevoir.

GAVESTON. Adieu donc, bonne nuit, et surtout bonne chance; mais si vous voyez la dame blanche d'Avenel, dites-lui bien de ma part ... Apercevant Marguerite qui, depuis le commencement de la scène, regarde attentivement Georges. Eh bien! qu'as-tu donc depuis une heure à regarder ainsi Monsieur?

MARGUERITE. Rien; mais ça m'a l'air d'un brave jeune homme, et je ne sais pourquoi j'ai du plaisir à le voir.

GAVESTON. Allons, allons, rentrons, il est tard.

MARGUERITE, montrant à Georges la lampe qu'elle tient à sa main. Voulez-vous que je vous laisse ...

GEORGES. Non, non, les revenants n'aiment pas les lumiêres, ça leur fait peur. A demain, mon cher hôte; soyez sûr que demain je[150] vous donnerai des nouvelles, fussent-elles de l'autre monde. Gaveston et Marguerite sortent par le fond, et l'on entend fermer les portes.


Quelle:
Boieldieu, François-Adrien: La dame blanche, in: Eugène Scribe: Théatre de Eugène Scribe de l'Académie Française, V,1: Opéras-comiques, Paris 1856, S. 148-151.
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