Scène VIII.

[155] Georges, Gaveston.


GEORGES. Elle s'éloigne; elle a disparu.

GAVESTON. Mon jeune officier, voici le point du jour.

GEORGES. Déjà! ...

GAVESTON. Je vois que je vous ai réveillé.

GEORGES. Hélas oui! un joli rêve, si c'en est un ...

GAVESTON. Eh bien! comment avez-vous passé la nuit?

GEORGES. Une nuit charmante, quoiqu'un peu agitée; car, en honneur, je n'ai pas eu le temps de dormir.

GAVESTON. Je conçois, le souvenir de la dame blanche vous a poursuivi.[155]

GEORGES. Son souvenir! ... mieux que cela.

GAVESTON. Que voulez-vous dire?

GEORGES. Tenez, mon cher hôte, comme vous et beaucoup d'autres esprits forts allez probablement vous moquer de moi, je commence le premier: je vous dirai donc en confidence qu'à dater d'aujourd'hui je me déclare le chevalier de la dame blanche.

GAVESTON. Est-ce que par hasard vous l'auriez vue?

GEORGES. Non, je ne l'ai pas vue ... mais j'ai passé une heure avec elle; une conversation charmante, un ton excellent; ce qui prouverait que dans l'autre monde il y a fort bonne société.

GAVESTON. Ah ça! permettez: êtes-vous bien sûr d'être dans votre bon sens?

GEORGES. Ma foi, je vous le demanderai; car je n'ose plus m'en rapporter à moi-même.

GAVESTON. J'espère cependant que vous ne croyez pas à la dame blanche; c'est impossible!

GEORGES. Vous avez raison, c'est impossible! aussi je suis comme vous, je n'y crois pas, mais j'en suis amoureux.

GAVESTON. Amoureux de la dame blanche!

GEORGES. C'est-à-dire d'elle ou de mon inconnue; peut-être de toutes les deux, je ne vous dirai pas au juste. Par exemple, je dois vous en prévenir, vous n'êtes pas dans ses bonnes grâces; elle vous traite fort mal.

GAVESTON. Moi!

GEORGES. Elle prétend (mais c'est elle qui parle) que vous êtes un homme injuste, avide, intéressé; que dans la vente qui va[156] avoir lieu ce matin, vous voulez vous rendre acquéreur pour dépouiller votre ancien maître.

GAVESTON. On pourrait supposer ...

GEORGES. Rassurez-vous, elle dit que votre espoir sera déçu, et qu'elle empêchera bien l'héritage des comtes d'Avenel de tomber entre vos mains.

GAVESTON. Ah! la dame blanche vous a dit cela?

GEORGES. Ces propres paroles, ou à peu près.

GAVESTON. Eh bien! l'événement prouvera qui d'elle ou de moi a le plus de pouvoir; car, dans une heure, ce riche domaine m'appartiendra. Tenez, tenez, voyez-vous, dans la cour du château, M. Mac-Irton, le juge de paix, qui doit présider à cette vente, et tous les gens du pays qui viennent y assister?

GEORGES. Ce sont vos affaires, arrangez-vous. Je vais faire un tour de parc en attendant les ordres de madame invisible, car elle m'a promis de me les envoyer.

GAVESTON. Vraiment?

GEORGES. Oui, par un message charmant, par ma belle inconnue, qu'il me tarde de voir paraître.

GAVESTON, à part. Allons, allons, je lui supposais d'abord quelque arrière-pensée; mais décidément il a perdu l'esprit. Haut. Eh bien! mon jeune officier, pourquoi ne restez-vous pas ici? vous verrez par vous-même qui aura raison de la dame blanche ou de moi.

GEORGES. Au fait, c'est un spectacle comme un autre; je n'ai jamais été à une vente publique.

GAVESTON. Jamais?

GEORGES. Non, sans doute, et il y avait de bonnes raisons.

GAVESTON. Asseyez-vous aux premières places.[157]


Quelle:
Boieldieu, François-Adrien: La dame blanche, in: Eugène Scribe: Théatre de Eugène Scribe de l'Académie Française, V,1: Opéras-comiques, Paris 1856, S. 155-158.
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