Scène V.

[170] Georges, Gaveston.


GEORGES, allant à lui. Eh bien! mon cher hôte, qu'est-ce que je vous disais? vous me voyez enchanté à mon tour de pouvoir vous recevoir chez moi.[170]

GAVESTON. Vous vous doutez du sujet qui m'amène; je viens; Monsieur, vous demander l'explication de votre étrange conduite.

GEORGES. Mon cher ami; demandez-moi tout ce que vous voudrez, hors des explications, parce que de ce côté-là ...

GAVESTON. Je ne croyais pas qu'un militaire dût avoir recours à la ruse pour cacher ses intentions.

GEORGES. Halte-là! je n'ai jamais trompé personne; je vous déclare donc que je me suis trouvé, comme beaucoup de gens, propriétaire d'un instant à l'autre, et sans savoir comment; mais je vous atteste qu'hier au soir; quand je suis arrivé chez vous, je n'avais pas plus d'intentions que d'argent, ça, je vous en donne ma, parole; et pour les preuves, Montrant son gousset. elles sont là.

GAVESTON, vivement et avec joie. Qu'entends-je! vous n'avez pas d'argent? Eh bien! alors, comment payerez-vous?

GEORGES. Moi! cela ne me regarde pas! la dame blanche y pourvoira. Il paraît que dans cette occasion je suis son homme de confiance, son chargé d'affaires, car je ne suis acquéreur que pour son compte.

GAVESTON. Vous voulez plaisanter?

GEORGES. Non, Monsieur, et je vois que nous donnons tous les deux dans les excès opposés; moi, je crois tout, et vous, vous ne croyez rien! c'est un mal: le sage doit toujours prendre un juste milieu; je veux bien abandonner un peu de mon opinion, cédez-moi de la vôtre, et convenons tous les deux qu'il y a quelque chose, quelque chose que nous ne comprenons pas: mais pour être heureux, on n'est pas obligé de comprendre.

GAVESTON. Quoi! Monsieur, ce riche domaine ...

GEORGES. A vous parler franchement, je n'y tiens pas du tout, et, d'un instant à l'autre, j'attends un coup de baguette qui va faire disparaître le château. Ce qui m'importe, c'est de revoir[171] la dame blanche ou ma belle inconnue, et c'est dans l'espoir de la rencontrer que je vous demanderai la permission de parcourir mes nouveaux domaines.

GAVESTON, l'arrêtant. Un mot encore: si à midi vous ne pouvez pas payer!

GEORGES. Le château est là, je ne l'emporte pas, j'en serai quitte pour le revendre; il est vrai que si on me l'achète au prix coûtant, ce n'est pas cela qui m'enrichira. Gaveston. Et si en attendant vous ne fournissez pas caution, M. Marc-Irton, le juge de paix, vous a dit qu'il y allait de la prison.

GEORGES. La prison! eh bien! tant mieux! car en conscience, la dame blanche doit venir me délivrer, et c'est un moyen de la voir; mais tenez, tenez, voici M. Marc-Irton qui a l'air de vouloir vous parler: adieu, je vais visiter mon château, et me hâter de faire le seigneur. Il monte par l'escalier à gauche, et disparaît dans la galerie.


Quelle:
Boieldieu, François-Adrien: La dame blanche, in: Eugène Scribe: Théatre de Eugène Scribe de l'Académie Française, V,1: Opéras-comiques, Paris 1856, S. 170-172.
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