Scène II.

[165] Anna, Marguerite.


ANNA. Ah! Marguerite, je t'attendais ...

MARGUERITE. J'entre comme vous dans le château dont M. Mac-Irton vient de lever les scellés. Eh bien! Mademoiselle, voilà ces riches appartements que vous aviez tant d'envie de parcourir. C'est ici que je vous ai élevée, ainsi que mon pauvre Julien, jusqu'à l'âge de six ans; mais vous m'assurez au moins que ce n'est pas pour son compte que M. Georges a acheté ce domaine.

ANNA. Non, c'est pour le rendre à son véritable maître! Qui pouvait surenchérir? ce n'était pas moi, mineure et pupille de Gaveston; par bonheur, Georges est venu à notre secours.

MARGUERITE. Ce monsieur Georges est donc bien riche? car il lui faut aujourd'hui même, à midi, payer cinq cent mille livres, u la vente est nulle.[165]

ANNA. Je te dirai, en confidence, qu'il ne possède rien, mais qu'il compte sur moi.

MARGUERITE. Sur vous?

ANNA. Oui. Dis-moi, Marguerite, toi qui as tongtemps habité ces lieux, tu dois te rappeler dans quel endroit est la statue de la dame blanche? car dans tous les appartements que j'ai déjà parcourus, je n'ai pas encore pu la découvrir, et voilà pourquoi je t'attendais.

MARGUERITE. Elle était placée dans la salle de réception, celle des chevaliers.

ANNA. Eh! mais, nous y voici!

MARGUERITE. Alors c'était là, à droite. Apercevant le piédestal. Grand dieu! la statue a disparu!

ANNA. O ciel! c'est fait de nous, et tous mes projets sont déjoués.

MARGUERITE. Que dites-vous?

ANNA. Qu'ici, dans ce château, est toute la fortune de la famille d'Avenel, le prix de ces biens immenses vendus en Angleterre, et qu'on estimait deux ou trois millions.

MARGUERITE. Grand Dieu!

ANNA. C'est là le secret qui me fut confié par la comtesse d'Avenel. »Anna, me disait-elle dans sa lettre, si jamais Julien reparaît en Ecosse, apprends-lui que dans le nouveau château d'Avenel, et dans la statue de la dame blanche, il retrouvera un coffret d'ébène qui contient, en billets de banque, la fortune de ses pères.«

MARGUERITE, avec douleur. Et la statue a disparu!

ANNA. Oui, et comment? car nul n'a pu pénétrer dans ce lieu.[166] Cherche bien, Marguerite; n'aurais-tu pas quelque idée, quel-que souvenir î

MARGUERITE. Attendez donc, je me rappelle que la nuit du départ du comte d'Avenel ...

ANNA. Parle vite.

MARGUERITE. Il était tard, et je sortais du château par un passage secret, connu des gens de la maison, lorsque j'entends des pas lents et mesurés; je me cache derrière un pilier, et, malgré la nuit, qui était des plus sombres, j'aperçois la statue de la dame blanche qui descendait lentement l'escalier.

ANNA. Tu as cru la voir.

MARGUERITE. Non, je l'ai vue, et le garde-chasse à qui le lendemain j'ai raconté cette aventure, m'a dit: »C'est juste; elle a quitté le château parce que les seigneurs d'Avenel s'en vont; elle ne reviendra que quand ils seront de retour.«

ANNA. Ou plutôt, et c'est là ma crainte, quelqu'un que l'obscurité t'empêchait de distinguer l'aura enlevée pour s'emparer des trésors qu'elle renfermait.

MARGUERITE. Non, Mademoiselle; non, elle s'est abîmée dans la muraille près du passage secret.

ANNA. Quel passage? pourrais-tu le reconnaître?

MARGUERITE. A quoi bon? vous aurez beau faire, la statue ne reviendra que quand Julien sera de retour.

ANNA. N'importe, reconnaîtrais-tu ce passage?

MARGUERITE. Je n'en répondrais pas: tout ce que je me rappelle, c'est qu'il avait une issue sur cette pièce; mais en tout cas je n'irai jamais.

ANNA. Moi j'irai; viens, guide-moi, c'est tout ce que je te demande.[167]

MARGUERITE. Mais, Mademoiselle, attendez donc, je ne peux pas vous suivre.

ANNA, l'entraînant. On vient, te dis-je, et je ne veux pas qu'on nous aperçoive. Elles sortent par la porte à gauche.


Quelle:
Boieldieu, François-Adrien: La dame blanche, in: Eugène Scribe: Théatre de Eugène Scribe de l'Académie Française, V,1: Opéras-comiques, Paris 1856, S. 165-168.
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