Scène VI.

[132] Jenny, Georges, Dikson.


JENNY, à Dikson. Pourquoi ne pas les suivre?

DIKSON, montrant Georges. Je voulais auparavant parler à Monsieur sur la vente du domaine, et puis sur des idées qui me sont revenues pendant que tu chantais. Ici, dans ce pays, ils sont tous trop poltrons pour me donner un bon conseil; tandis que vous A Georges. qui êtes militaire et qui avez du cœur ...

GEORGES. De quoi s'agit-il?

DIKSON. D'abord, Monsieur, dites-moi si vous croyez à la dame blanche?

GEORGES, riant. Qui, moi? ma foi, j'y aurais des dispositions: il serait si doux de penser qu'on a toujours auprès de soi une jolie femme, une fée secourable qui vient à votre aide au moment du danger; et je donnerais tout au monde pour apercevoir seulement la dame blanche d'Avenel.[132]

DIKSON, tremblant. Eh bien! je suis plus heureux que vous.

JENNY ET GEORGES. Tu l'as vue?

DIKSON. Mieux que cela, je lui ai parlé! il y a déjà bien longtemps; je lui ai fait une promesse qui maintenant ne laisse pas que de m'inquiéter.

JENNY. Qu'est-ce que ça signifie? et vous ne m'en avez jamais rien dit!

DIKSON. Je n'en aurais jamais parlé à personne sans les événements de demain; et puis, ce que tu m'as raconté, qu'elle avait reparu dans le pays, tout cela s'est représenté à ma mémoire; et depuis quelques instants, voilà, sans me vanter, une fameuse peur qui me galope.

GEORGES ET JENNY. Dis-nous vite!

DIKSON. Il y a treize ans, après la mort de mon père, tous les malheurs semblaient fondre sur moi: mes blés avaient été gelés, mes bestiaux avaient péri, le feu avait pris à ma ferme, sans compter les recors et les hommes de loi qui commençaient à me travailler; le lendemain on devait tout saisir chez moi, jusqu'à mes charrues, et pas un ami qui voulût m'obliger. Désespéré, j'errais le soir dans la campagne, et je me trouvai près des souterrains du vieux château; j'y entrai, et me jetant sur la pierre: »Puisque tout m'abandonne, m'écriai-je, que la dame blanche vienne à mon secours; je me donne à elle corps et bien, si elle veut me prêter deux mille livres d'Écosse.« J'entends tout à coup une voix qui me dit: »J'accepte. Quand l'heure aura sonné, souviens-toi de ta promesse; et dans le moment une bourse tombe à mes pieds!«

GEORGES. Ce n'est pas possible!

DIKSON. Je la ramassai en fermant les yeux, persuadé que c'était de la fausse monnaie: c'étaient de belles pièces d'or avec lesquelles j'ai payé mes dettes, rétabli mes affaires; et, depuis ce temps-là, tout a prospéré chez moi; je suis devenu un des[133] plus riches fermiers des environs, et j'ai épousé, l'autre année, Jenny que j'aimais depuis longtemps.

JENNY. Et moi, si je l'avais su, j'y aurais regardé a deux fois ... Avoir formé un pacte comme celui- là! ... Savez-vous que la dame blanche est un lutin? ... c'est comme qui dirait le ...

DIKSON, tremblant. Du tout, c'est bien différent!

JENNY. Si, Monsieur, tout cela se tient; et quand je pense que vous vous êtes donné à elle avec tout ce qui vous appartient! ...

DIKSON. C'est vrai.

JENNY. Et moi, qui suis votre femme, je suis donc comprise làdedans? et notre enfant?

GEORGES. Comment, mon petit filleul!

JENNY. Et si un beau matin elle allait venir nous enlever? ...

DIKSON. Ah! mon Dieu! Se retournant. Hein! qu'y a-t-il? Apercevant Gabriel. Cet imbécile-là le fait exprès; il arrive toujours quand en a peur.

GABRIEL, qui est entré. Dame! notre maître, c'est que vous avez toujours peur quand on arrive! Les fermiers vous attendent; il faut qu'ils retournent ce soir chez eux, et voici la nuit qui s'avance.

DIKSON. Je te suis. A Jenny. Vois-tu, ma chère amie, il n'y a rien à craindre; pourquoi veux-tu que la dame blanche t'enlève, toi, une femme? elle m'enlèverait plutôt ... Bas, à Georges. Restez avec ma femme et ne la quittez pas. Il sort.


Quelle:
Boieldieu, François-Adrien: La dame blanche, in: Eugène Scribe: Théatre de Eugène Scribe de l'Académie Française, V,1: Opéras-comiques, Paris 1856, S. 132-134.
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